Chantrapas

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Conte de cinéma et fable humaine, le style joyeusement foutraque d´Otar Iosseliani se fait plus austère dans ce film beau, mais instable.

« Vous comptez faire ça en France, ce genre de film ? »

Tout Chantrapas est contenu dans cette phrase dite par un producteur. Le style foisonnant et joyeusement foutraque d’Otar Iosseliani vient ici cadrer la vie d’un jeune réalisateur dont les films sont jugés trop critiques pour être montrés. Pourtant rien dans l’apparence de Nicolas ne le donne comme un grand contestataire, tout au plus un idéaliste qui veut transcrire la vie telle qu’il la voit et la vit. Ce qui évidemment n’est pas au goût d’une Anastasie idéologique ou économique, mère censure que les ciseaux démangent et qui n’aime rien tant que fourrager dans la pellicule afin de rendre un film convenable pour tous et surtout pour elle. Partout Nicolas apparaît comme un « chantrapas » : un bon à rien, un exclu.
Chantrapas s’organise autour d’un jeu de résonance entre les deux parties du film (Géorgie puis France) et un jeu d’écho et de confusion entre le cinéma et la vie de Nicolas. La première partie, la plus réussie, met en scène une constante indécision de l’image. Ce que l’on prend initialement comme une réalité n’est souvent que le tournage du film de Nicolas. Alors que la scène s’achève, on voit le démontage du décor tandis que dans la pièce suivante le tournage continue. Au-delà de la seule mise en abyme (qui n’a rien d’autobiographique selon Iosseliani), ces allers-retours entre fiction et réalité viennent mettre en doute chez le spectateur sa croyance en l’image. Aussi costumée soit-elle la fiction semble parfois plus réaliste que la réalité. Ainsi le flashback sur l’enfance de Nicolas ressemble à l’image d’Epinal de l’enfance au cinéma des années 1960. La réalité de Nicolas est d’ailleurs émaillée de quelques figures maîtresses du cinéma : Pierre Etaix en producteur dubitatif, Bulle Ogier en mémère à chienchien… Les mésaventures mêmes de Nicolas deviennent cinématographiques : il transporte avec lui un couple de pigeons voyageurs, tombe de bateau et arrive trempé à un rendez-vous avec ses producteurs… Nicolas devient un corps purement burlesque et sa vie se transforme en un mauvais film dont il est la victime.
 
 
Iosseliani filme tout cela avec sa grâce habituelle dans des plans-séquences au mouvement très chorégraphiés ou une synesthésie en « plan-façade » où la caméra passe de fenêtre en fenêtre marquant ainsi chaque nouvelle entrée d’un instrument dans la bande-sonore. Pourtant, malgré ses qualités nombreuses, Chantrapas semble bancal. Son précédent film, Jardins en automne (2006), réussissait l’alliance du drame de l’image au comique de situation dans une structure narrative finalement très lâche: le temps s’étirait jusqu’à s’apparenter parfois au temps réel. Chantrapas opte pour une structure et un rapport à la temporalité plus classiques. Le film s’étend sur plusieurs années et joue sur le bégaiement des situations entre la Géorgie et le France : Nicolas en tournage, Nicolas entre famille et amis, Nicolas aux prises avec ses producteurs… Iosseliani souhaite faire avec son héros le portrait de tous les cinéastes qui ont réussi à surmonter la censure, mais la solennité adoptée devient finalement pesante.
Contrairement à Jardins en automne, Chantrapas se prête peu au rire. C’est peut-être finalement ce manque de légèreté qui empêche le film de se révéler pleinement et semble rendre caduque le virage symbolique amorcé à la fin. Troquant la facétie pour plus de sévérité, Iosseliani prive son film de son réel envol, mais offre un beau moment de cinéma.

Titre original : Chantrapas

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Genre :

Durée : 122 mn


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