Carancho

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Noir, c´est noir, il n´y a plus d´espoir en Argentine. Surtout lorsque Pablo Trapero filme les accidents de la route et les assureurs rapaces qui escroquent les victimes.

Le hurlement des sirènes est incessant. La lueur des gyrophares ne s’arrête pas non plus. Il fait nuit à Buenos Aires et les ambulances filent vers les corps broyés qu’elles extirpent des voitures accidentées. Ces scènes d’horreur – véridiques en Argentine puisque les accidents de circulation sont la première cause de mortalité dans le pays – correspondent au quotidien des hospitaliers de la nuit parmi lesquels Lujan, une jeune urgentiste. Mais aussi à celui des assureurs véreux qui tentent de profiter des victimes. Parmi ces « caranchos » (« rapaces » en argentin), Sosa, pris dans un trafic bien plus gros que lui. Et au milieu coule une histoire d’amour.

Réalisateur du long-métrage Leonera sélectionné à Cannes en 2008, six ans après El Bonaerense, l’argentin Pablo Trapero verse dans le film noir, miroir de la société argentine, avec Carancho. Dans ce film, on retrouve Martina Gusman dans le rôle de Lujan, muse à la ville et à l’écran de Trapero, et la star argentine Ricardo Darin sous les traits de Sosa, l’avocat véreux. Des oiseaux de nuit qui évoluent dans un monde souterrain sans quasiment voir la lumière du jour, immédiatement pris dans le tumulte et l’urgence des accidents de la circulation à Buenos Aires. Privés de lumière – et donc d’espoir – Lujan et Sosa sont dès le départ en sursis.

 

En effet, clairement, le réalisme des scènes sert le propos de ce ténébreux témoignage à suspens, instantané d’une Argentine nocturne. Pablo Trapero décrit un problème majeur du pays : la violence meurtrière des accidents et la corruption et l’inhumanité qui en découlent – en comparaison, les flashs préventifs des autorités françaises lors des départs en vacances font l’effet d’une farce. Un réalisme qui se justifie de par le sujet abordé et sans effet de style. Ainsi, dans le film, tout ou presque participe à la tension croissante de l’intrigue : les sons, les plans très serrés sur les âmes et les corps accidentés, les discussions à bâtons rompus entre assureurs corrompus, et la lumière clinique, blafarde, anti oxygène des phares des véhicules et de l’hôpital lugubre où exerce la jeune femme. La musique extérieure au film se fait rare, à juste titre car lorsqu’elle intervient, elle nuit à la véracité du récit. Malgré tout, on a vite le tournis dans Carancho. Et pas parce que les scènes d’accidents sont insupportables. On en voit trop ou pas assez. La mise en scène des accidents est parfois tellement rapide et/ ou tellement sombre que l’on ne distingue que peu de choses, ce qui nuit à la compréhension de l’intrigue.

 

Quant à l’histoire d’amour entre l’urgentiste à bout et l’avocat renvoyé du barreau, elle n’apporte aucun répit au récit, au contraire. Elle, droguée jusqu’au bout des doigts (de pied), lui, englué dans des affaires mafieuses. Quasi instantanément, on pressent un pire inextricable. Et d’ailleurs, si ce n’est le charme de l’acteur Ricardo Darin, on ne voit pas trop pourquoi Lujan s’attache dès le premier regard à ce carancho. Certes, leur quotidien sordide les rapproche, mais encore ? Peut-être parce que la jeune femme désocialisée est elle aussi, à sa façon, une sorte de carancho? Les victimes qu’elle soigne sans relâche sont sa perte mais aussi la clé de son ascension professionnelle, et donc sociale. Pour preuve, le nom « doctor » à double emploi dans la langue argentine sert à Lujan la femme médecin, mais aussi à Sosa l’avocat, le « maître ».

Visiblement, le film a rencontré un franc succès en Argentine et serait à l’origine d’un projet de loi dit « anti-carancho », destiné à lutter contre ceux qui s’enrichissent illégalement sur les accidents de la route, mais cette violence, cette urgence, cette dangerosité propres à l’Argentine n’étaient pas inconnues. Dans un tout autre style, le film La sangre brota de Pablo Fendrik nous les présentait déjà.

Titre original : Carancho

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Durée : 107 mn


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