Cannes Jour 10: France toujours

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La fin est proche et les souvenirs se bousculent. Se mêlent alors le Nord et le Kilimandjaro, un ministre des transports et des présidents, et les perles des festivaliers.

En cette fin de Festival, les fatigues ruissellent et les foules se vident progressivement. Les cadavres de festivaliers perfusés au champagne offert titubent dans les rues dès 21h et notre esprit commence déjà à traîner ses airs mélancoliques et nostalgiques. On revit ses flots d’émotion en repensant aux projections de The Tree of Life ou Polisse. « Ah! J’étais assis au quatrième rang à gauche à côté d’une journaliste islandaise, je m’en souviens comme si c’était hier » (c’était avant-hier). À force de voir des films d’auteur, notre pensée vagabonde sur des interrogations futiles et métaphysiques. Je me demande pourquoi ce sont toujours des Allemands qui m’écrasent le pied dans les files d’attente cannoises. Toujours ! Qu’en penserait Terrence Malick ? Pourquoi prennent-ils le malin plaisir de prendre mes grands pieds pour la Pologne ? Je crois qu’il est bientôt l’heure de rentrer à la maison et de s’hydrater un peu.

Trois films français ont été sélectionnés pour la compétition Un certain regard. Trois films complètement différents bien que complémentaires. Tout d’abord, Les Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian qu’on a déjà évoqué et qui s’illustre avec une poésie sociale et humaine rafraîchissante. Se situant dans le milieu ouvrier à Marseille, le film tente une remise en cause de ses personnages syndicalistes et place un conflit de génération pertinent entre l’ancien prolétariat qui s’en est sorti et les victimes de la crise actuelle qui ne s’en sortent pas. À l’inverse, avec L’Exercice de l’Etat, Pierre Schoeller s’intéresse à l’autre côté de l’échelon social en présentant l’univers étourdissant d’un ministre des Transports aux nobles ambitions. Le réalisateur arrive à pénétrer subtilement la pensée d’un politicien qui n’est qu’anticipation et adaptation au milieu d’un monde de crocodiles. On suit un personnage dépassé par sa propre vitesse dont la puissance affichée ne peut masquer une naïveté inimaginable face aux réalités du monde politique. Ce ministre essaie, trébuche puis se relève tout en croyant fermement qu’il maîtrise quelque chose alors qu’il est juste englué aveuglement dans une vase perverse et sans pitié qu’on nomme la Politique. On retrouve d’ailleurs dans le film cette même notion d’évolution générationnelle. La société française évolue et nos réalisateurs semblent déjà sur le coup. En évoquant Pater d’Alain Cavalier en compétition, on peut même se féliciter d’un cinéma français annonciateur des récentes confusions politiques reléguant La Conquête de Xavier Durringer dans la catégorie des films déjà datés avant même leur sortie en salle.

Le dernier film tricolore labellisé Un Certain Regard se situe dans les paysages marécageux et touffus d’un Nord de la France qu’on ne reconnaît pas. Pas de frites fricadelles à l’écran ni de carillons magiques ou de « heiiiin ? ». Hors Satan de Bruno Dumont est une œuvre singulière, étrange et silencieuse où l’on découvre un vagabond communiant avec la nature et purificateur d’âme féminine. Est-ce un chamane ? Une figure de Dieu ? Un guide spirituel ? Sûrement un peu des trois à la fois. Ce film est un rêve obscur qui chamboule nos sensations. Dumont impose une atmosphère déroutante autour de son personnage principal qu’il dépeint en protecteur de la femme perdue et troublée face à l’homme oppresseur. Un gentleman sauvage offrant ses entrées dans un monde pacifié où le feu est utilisé uniquement pour chauffer, jamais pour brûler. Voilà un film que n’auraient pas forcément compris les trois jeunes demoiselles à l’humour indéfini, assises à mes côtés lors de la projection de L’Exercice de l’Etat qui s’enthousiasmaient devant les images de la révolte grecque en clamant bien fort : « Ah ! Je connais, c’est Mai 68 ! » Et pourtant, il était écrit sur l’écran : Grèce, 2010. Dans la famille « On trouve de tout dans le public cannois », je demande la préadolescente aux problèmes de lecture. Bonne pioche. Famille !
Précédemment, dans notre saga cannoise:
Quand Cannes fait son 64e festival
Cannes Jour 1 : Les choses sérieuses commencent
Cannes Jour 2 : Des salles obscures à la plage
Cannes Jour 3 : We need to talk about Nikos !
Cannes Jour 4 : A Starr is born
Cannes Jour 5: On se foule!
Cannes Jour 6: Lundi sous le soleil cannois
Cannes Jours 7: Fier d’être Français
Cannes Jour 8: Femmes au tapis
Cannes Jour 9: La course à la Palme d’or continue…


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