Ayant récemment perdu la vue, Ingrid se retire en sécurité dans son appartement, endroit où elle se sent en confiance, seule avec son mari et ses pensées. Mais ses peurs profondes et ses fantasmes, vont surgir tout à coup pour irradier le réel d’une lumière mystérieuse et à la frontière de la folie, évoquant en cela le surréalisme et parfois le maître des maîtres en la matière, Luis Buñuel. Blind est en effet une subtile variation autour de la jalousie et de la suspicion, du voyeurisme et de la perception de la réalité. Dans le désir d’un homme pour une femme aveugle et d’une aveugle pour un voisin imaginaire, il y a comme une peinture de ce que la psychanalyste appelle parfois « amaurophilia », autrement dit le désir exclusif de certains hommes qui fantasment sur les femmes aveugles, ce qui va de pair avec le fétichisme et la névrose.

Il plane en effet tout au long de ce film d’une grande sensualité, un lourd sentiment anxiogène d’amour et d’abjection, comme si le fait de ne pas voir pouvait pousser des individus à se désirer encore plus, à s’exhiber et à se fuir car il est facile de se cacher à quelqu’un qui ne voit pas. Le film, bien sûr, n’échappe pas à quelques faiblesses narratives, ne serait-ce – comme on l’a déjà souligné – que la confusion (voulue ou non) entre réel et imaginaire, mais aussi par la présentation de métaphores un peu trop exagérées comme la promenade d’Ingrid avec sa canne blanche pour la première fois dans les rues exprimant une sorte de métonymie de la cécité, et surtout l’idée intéressante, mais pas assez creusée, d’avoir fait du personnage principal une écrivaine aveugle qui se sert du clavier d’un ordinateur en braille pour raconter ses fantasmes, ses peurs et son ubiquité. Avec ce premier film tout de même très prometteur, Eskil Vogt ouvre la porte des cinéastes talentueux de sa génération. Attendons le prochain pour se faire une idée plus précise de son art qui semble toutefois bien ancré.