Insupportable de bonne humeur et à la limite de la tête à claques, Poppy est une maigrichonne à l’humour potache, un personnage exubérant, chargé d’autant d’accessoires que de manières. Dégingandée sur ses bottes vintage, elle dodeline, pousse des soupirs d’extase et lâche des rires toutes les trente secondes. Bref, elle exaspère. Parce que les gens qui rient sans arrêt, c’est forcément louche. On a juste envie de les fuir.
La question se pose alors : Mike Leigh mettrait-il en scène juste une écervelée ? Impossible. Comme à l’accoutumée, le réalisateur de Secrets et mensonges nous déroute à dessein, pour mieux faire de nos a priori des cocottes en papier, bonnes pour la poubelle.
Car cette bonne humeur constante de Poppy ne fait pas de Be happy un film léger. Tout n’est pas si simple en dehors du pays des Bisounours. Il faut dire que Poppy n’est pas une Amélie Poulain touche-pipi, lisse et édulcorée qui décide un jour de faire le bien autour d’elle. Elle est certes une hyperpositive, habitée d’une force vitale à toute épreuve, mais c’est aussi une femme profondément incarnée, rationnelle et confrontée à la violence du quotidien.
Mike Leigh n’est pas un grand filmeur, mais il est un redoutable créateur de personnages – et, faut-il le rappeler, un directeur d’acteurs – hors pair et à mesure que l’histoire la dévoile, Poppy gagne en profondeur. Son rire prend des allures de tic, de réaction compulsive face à des situations gênantes, de protection quand on la drague ou quand on lui replace une vertèbre.
Et puis la thérapie du sourire ne porte pas toujours ses fruits. Elle n’a d’ailleurs aucune emprise sur Scott, le moniteur auto-école dont la colère intérieure étouffe chaque jour davantage l’existence. La confrontation de leurs deux personnalités fait des étincelles et offre des scènes aussi comiques que touchantes. Il est la parfaite antithèse de Poppy. Comment lui, le complexé, l’hyper agressif, supporterait-il d’être confronté à un être épanoui jusqu’au bout des ongles, qui conduit avec des talons aiguilles au son des bracelets qui s’entrechoquent dès qu’elle touche le volant ?
La finesse du film naît de cette affirmation que tout n’est pas rose, que la vie est trop complexe pour ça, et à aucun moment – bien que le titre "soyez heureux" le sous-entende – l’auteur ne donne de morale, nulle quête absolue de bonheur, aucune méthode Coué à coups de sac à mains pour nous faire croire le contraire (le titre original Happy-go-Lucky signifiait davantage la complexité d’une vie semée d’embûches, impression renforcée par la présence des traits d’union).
Et de fait, même si échecs il y a, Mike Leigh a choisi de ne pas confronter son personnage à un obstacle dramatique comme on pourrait s’y attendre, évitant ainsi les écueils d’un discours d’espoir à deux francs six sous. Non, il garde le cap d’un théâtre des possibles, d’un réel à portée de main, laissant flotter sa mignonne dans un ultime fou rire.
BE HAPPY GO LUCKY ba
envoyé par troiscouleurs