Au revoir

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En attente d´un nouveau procès, Mohammad Rasoulof filme avec une colère froide un Iran verrouillé.

Petit rappel des faits : en 2010, Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi sont arrêtés pour « actes et propagande hostiles à la République Islamique ». Suite aux élections présidentielles contestées, le régime emploie la méthode forte pour museler l’opposition, étouffer les voix critiques et décourager les potentiels dissidents. Les deux cinéastes, déjà largement dans le collimateur pour leurs précédentes œuvres, préparent un film sur les troubles récents. Un projet forcément dangereux pour les autorités, qui souhaitent à tout prix enrayer la popularité du Mouvement vert. Elles décident alors de marquer le coup et d’infliger aux deux hommes une lourde sanction : six ans de prison et vingt ans d’interdiction de tourner. Ce verdict suscite un tollé international et toute la profession se mobilise. Mohammad Rasoulof et Jafar Panahi font appel de cette décision : libérés sous caution, ils attendent depuis un nouveau jugement. Loin de baisser les bras ou de jouer profil bas, ils continuent de porter l’estocade et reprennent en secret leurs activités. En témoignent aujourd’hui la sortie quasi-simultanée d’Au revoir et Ceci n’est pas un film (journal tenu par Panahi pendant cette parenthèse judiciaire, sur les écrans le 28 septembre). Présentés au festival de Cannes, ils ont été réalisés dans une semi-clandestinité.

Au revoir suit le parcours semé d’embûches d’une avocate qui veut quitter l’Iran. Pour avoir trop défendu les droits de l’Homme, Noura ne peut plus exercer son métier. Devant cet avenir noir, elle se plie aux conseils d’un « passeur » qui lui propose un plan risqué : tomber enceinte, présenter une (fausse) intervention dans un colloque à l’étranger, accoucher sur place, puis faire venir son mari au nom du regroupement familial… La jeune femme tente de respecter ce programme sans attirer la suspicion. Elle multiplie les démarches pour obtenir son visa, mais bute à chaque pas sur des bureaucrates zélés, pointilleux ou simplement corrompus. Vivant dans la crainte permanente, elle se terre dans son petit appartement, loin de son époux, un journaliste politique également surveillé. Petit à petit, les contrôles se renforcent, la menace se précise, et le départ s’éloigne…
 

Mohammad Rasoulof opte pour un style résolument sec, avec de longs plans fixes qui enserrent les personnages dans un cadre fermé. Il donne à son image un aspect glacé, où dominent les tons gris et bleutés. Cet éclairage sombre renforce un climat d’asphyxie et nimbe d’austérité les décors ternes, aux murs pauvrement décorés. Le scénario repose sur une structure répétitive, où s’enchaînent les rendez-vous administratifs, dialogues de sourds filmés en champs-contrechamps hostiles. Cette dramaturgie au point mort renvoie bien sûr à la position de Noura, qui piétine et s’englue dans une lutte perdue d’avance. Souvent le réalisateur laisse durer la séquence après la sortie de son héroïne et s’attarde sur une porte fermée, soulignant l’inanité de toute tentative de fuite. Par ailleurs, il accentue la tension en jouant sur les silences et une lenteur étudiée, comme dans cette scène de perquisition, où deux agents fouillent méthodiquement le logement de Noura, examinant livre par livre sa bibliothèque. Partout transpire une inquiétude sourde, d’autant plus forte qu’elle s’exprime de façon pernicieuse : les inspecteurs bloquent Noura dans l’ascenseur et l’interrogent avec une douceur feinte, lui faisant monter et redescendre les étages afin de s’assurer de sa docilité, tandis qu’en reflet leur présence massive empêche toute résistance ; derrière une bouche d’ombre, une voix sans corps refuse d’étudier les passeports, symbole invisible d’un système implacable.

Le cinéaste n’a pas la force de Jafar Panahi ni la finesse d’Asghar Farhadi et manie ses effets avec trop d’insistance. Il se retranche parfois derrière un symbolisme appuyé : un avion décolle au loin tandis que Noura demeure au premier plan, une tortue rêve de s’échapper d’un aquarium au fond brisé… Tourné dans l’urgence et la nécessité, Au revoir connaît les mêmes limites que The Hunter de Raffi Pitts et peine à se libérer de ses intentions. Il permet toutefois de découvrir un auteur engagé, peu distribué en France, et dont la future carrière reste compromise.
 

Titre original : Bé Omid é Didar

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Durée : 100 mn


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