Au fond des bois

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S’appuyant sur un fait divers du XIXe siècle confrontant justice et ésotérisme, le Jacquot nouveau rachète le désastre « Villa Amalia » sans pour autant atteindre la grâce de ses beaux films des années 90.

Bien supérieur à Villa Amalia, Au fond des bois est d’abord l’occasion de réactualiser une certaine idée du cinéma de Benoît Jacquot, peut-être l’un des seuls cinéastes français actifs depuis plus de trente ans – hors géants de la Nouvelle Vague – dont le statut d’ « auteur » semble en totale adéquation avec la pratique. En somme : élection d’un sujet et d’un seul, à vocation souvent scientifique, dans tous les cas psychanalytique (l’hypnose, la névrose, la fascination, l’évasion, la frustration…) rattachant une trajectoire singulière ; incarnation de ce sujet, par une figure au moins aimée (Isild Le Besco, Judith Godrèche), sinon admirée (Isabelle Huppert, Virginie Ledoyen) ; accomplissement du projet par la coordination en même temps que la confrontation de ce sujet au corps, à la matière vivante désignée pour le porter, pour le meilleur (La Désenchantée, La Fille seule, Le septième ciel) comme le pire (La Vie de Marianne, Sade, Villa Amalia).

Entre le tracé du geste, du mot et l’élan ou la tenue du corps, l’esquisse du trait et la prise de pouvoir de la chair, voire du sang, ce cinéma semble comme peu d’autres travaillé par la question du hiatus entre enregistrement du réel et articulation du récit. D’où que toujours l’élégance s’accompagne de quelque rupture de ton, de claudication, que l’évidente maîtrise de chaque effet ne cherche aucunement à se déparer de quelque soupçon quant à cette maîtrise. Comme si un film de Benoît Jacquot était avant tout mû par sa propre défiance vis-à-vis de la possibilité de filmer son histoire à la bonne hauteur, de garder la bonne distance avec les acteurs, décors et costumes nécessaires à l’engagement de la fiction. Le précédent Villa Amalia, qui laissa l’an passé un goût amer, apparut alors comme une impasse, une exposition arrogante des ficelles et intentions de ce cinéma, quelque chose comme un exemple de cinéma d’auteur français terminal, où les embranchements du récit étoufferaient toute velléité d’incarnation dans l’œuf.

 
Là où Au fond des bois brillerait à l’inverse par la mise à mal de son écriture, de son édifice scénaristique par un trop plein d’incarnation, un appel d’air de la vie sous le vernis des images. Histoire vraie d’un étrange jeu de fascination ayant conduit en 1865 une fille de médecin respectable à suivre, de gré ou non, un vagabond accueilli pour une nuit, le film accroche avant tout par la pleine existence, la présence très organique de ses acteurs. Comme toujours, chez Jacquot comme ailleurs, Isild Le Besco parvient, on ne sait trop comment, à rendre caduque toute notion de jeu, d’interprétation, en raison de la simple évidence qu’une fois filmée, ne semble importer pour elle que d’être le personnage, donner chair par sa grande disponibilité à ces filles qui sur le papier ne devaient être que projections.

Dans chacune de ses collaborations avec Benoît Jacquot, au désir du cinéaste – qui fut accessoirement son compagnon – de la filmer au plus près de sa jeunesse et de sa progressive « maturation » s’allie une prise de pouvoir, un investissement du plan, de la scène, du récit entier, assez typiques des grandes « natures de cinéma ». Il serait bien sûr un peu suspect, Jacquot ayant filmé d’autres grandes actrices, de prétendre déceler chez la Le Besco d’Au fond des bois la plus-value semblant manquer à la Huppert de Villa Amalia. A moins d’une conviction qu’en authentique auteur, au même titre qu’il commanda à Bruno Coulais, en amont du tournage, le concerto pour violon esquissant pour grande part l’arrière-monde du film, Jacquot serait cinéaste à ne penser un film qu’à la lumière de sa future actrice. Pour Isabelle les récits de mise à distance du monde, du quotidien, de cheminement prioritairement spirituel allant vers des horizons plus clairs. Pour Isild, des embardées au cœur même du monde, le passage des frontières, l’abandon également de tout statut social, mais au profit cette fois d’un idéal plus terrien, davantage lié à l’avènement d’états plus sauvages, plus « naturels », versant potentiellement rousseauiste de son cinéma.

 

Reste à reconnaître que même si, répétons-le, Au fond des bois rachète largement Villa Amalia, ce dernier film ne manque pas de laisser songeur. Peut-être en raison, cette fois encore, d’une maîtrise ne faisant pas mine de se cacher, d’un excès de transparence dans l’accès à cette maîtrise. Auteur, Benoît Jacquot prend une nouvelle fois le risque de sacrifier la beauté, la force intrinsèque de ce qu’il filme et met en scène à une excessive conscience que tout ceci, en définitive, reste bel et bien fabriqué, encore et toujours « du cinéma ». Lucidité prêtant forcément à réserve, devant un film faisant sujet du doute et, pour au moins l’un de ses élus, des quelques bénéfices susceptibles d’en découler.

Titre original : Au fond des bois

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Durée : 102 mn


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