A propos d’Elly (Darbareye Elly)

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Récit d’une disparition, A Propos d’Elly commence très fort avant de s’évaporer, à l’image de son groupe d’amis dont on explore la dislocation. Farhadi s’invite chez Antonioni et modernise la fable en proposant une vision de l’évolution de l’Iran…

On aimerait retenir une chose d’ A propos d’Elly : les premiers instants, la première demie-heure, où tout est déjà là, où les relations de cette communauté restent encore à déterminer pour nous, spectateurs, alors que tous les personnages, groupe de jeunes mariés amis depuis la fac s’offrant trois jours dans un bungalow en bord de mer, savent exactement, eux, quelle place ils occupent au sein du collectif. En s’accaparant un lieu vierge à investir, à occuper, un espace en devenir où tout est à dépoussiérer, à réorganiser, ils se livrent par gestes simples et paroles du quotidien. Tous participent à un même mouvement, celui de l’organisation avant la détente. Au milieu de ces habitude, on en oublie de mettre à l’aise l’invitée de dernière minute, Elly, institutrice d’une des filles du groupe. La force du théâtre n’est jamais loin (travail intense sur les corps, les mots, la parole, le regard).

Dans cette maison en bord de plage où tout passe (les vitres sont cassées, le vent pénètre perpétuellement dans ce refuge perméable), il n’y a en fait pas d’intérieur, ni d’extérieur, on est dans un lieu à prendre dans son ensemble. La mer est là, présente continuellement, même quand elle n’est pas à l’image, par son remous incessant, présenté ici comme un danger imminent. C’est cette même mer qui, par la suite, mettra en danger l’enfant d’abord, sauvé de justesse, puis Elly. Devenue absente, manquante, avalée par les vagues, ce sont donc elles qui prennent le relais de sa présence visuelle et auditive. Les personnages restent alors à (se) débattre face à cette grande inconnue, sans réponse aucune. On pense alors, forcément, à L’Avventura d’Antonioni. Une fois disparue, l’institutrice devient paradoxalement plus bavarde par le biais de cette mer grise et opaque, contrairement à Sepideh, personnage à la parole facile jusque-là puis beaucoup plus renfermé ensuite, s’étranglant dans ses propres mots et se cachant le visage.

Asghar Farhadi avoue lui-même rêver d’ « un cinéma arrivé à un âge suffisamment avancé pour qu’un cinéaste n’impose pas ses idées, ses théories ou son idéologie ». Le cinéaste atteint son objectif avoué dans cette belle et complexe exposition, mais son art ne lui semble pas être encore assez mature pour se passer de cet événement qui va venir basculer tout ce bel équilibre et mettre au grand jour ce qui n’est encore qu’une pâle lueur, ce qui serait presque à regretter. Car A propos d’Elly, s’il use de ficelles bien différentes, suit pourtant le schéma classique du film-catastrophe. Exposition sans intrigue, incident inattendu et révélation des comportements au sein du microcosme. Elly était déjà absente auparavant avant sa soudaine évasion. Elle n’est l’amie de longue date de personne, celle qui est perpétuellement attirée vers et par le hors-champ et la seule à avoir des secrets pour les autres. Après avoir inondé le champ par une série de jump-cuts où elle se démultiplie à l’image et rayonne, Elly rejoint alors le hors-champ et quitte donc le film.

Disparition et apparition, parole et mutisme, voilà où se situe la clé de ce film qui, par ses explications finales, réduit ensuite son propos en débat de société (le problème du mariage en Iran). L’exercice devient un peu vain dès qu’il se met à trop bavarder sur un contenu passé longtemps sous silence. En rejoignant le hors-champ, Elly ne laisse plus que ses secrets dans le champ et le film découvre de lui-même ses propres limites. Car si jouer sur le mystère du hors-champ est toujours fascinant, l’expliciter lui retire ce qu’il stimule : l’imagination et la possibilité d’une portée universelle.

Titre original : Darbareye Elly

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Durée : 116 mn


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