Los Bastardos

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Que fait le Grand Méchant Loup, se retrouvant nez à nez avec le Chaperon rouge ? le Chat croisant la Souris ? l’Affamé devant une miche de pain ? le Chasseur devant sa proie ? Questions bêtes ? vraiment ? réponses évidentes ? Eh bien… vous avez raison.

Los Bastardos, second long-métrage de son auteur après Sangre (2006), repose sur un principe esthétique extrêmement restreint, et par là même très définissable. En gros, suivant pendant la première demi-heure les errances d’un sympathique duo d’immigrés mexicains – sans doute clandestins – en recherche, comme une poignée de compatriotes, d’un quelconque emploi susceptible de les nourrir pour la journée, on se doute assez vite que le caractère apparemment lisse de la mise en scène cache une impureté, une bien trouble intention. Assistant, un quart d’heure durant, au sinistre diner d’une mère et de son fils, dans un pavillon de la banlieue de Los Angeles, on s’interroge un peu quant au lien, à la place de ces Blancs dans un récit de prime abord centré sur la seule trajectoire des deux jeunes Latinos.

C’est ici que commence le jeu – ma foi presque amusant – de Los Bastardos. Il va sans dire que si Amat Escalante quitte momentanément ses sympathiques pieds-nickelés pour introduire, comme ça, à tout hasard, deux figures sensiblement « étrangères » à leur monde, c’est dans un but très précis : sinon les opposer, tout du moins laisser pressentir leur interaction prochaine, leur destinée commune. Le dispositif est d’une transparence assez confondante, mais ne nuit pas forcément à l’intérêt de l’objet. Disons qu’à partir du moment où se devine le cheminement assez logique de celui-ci, est offert à qui le suit de se laisser prendre au jeu, avec bien sûr la possibilité de s’adonner au doux plaisir de l’anticipation. Car  – chose importante – a été introduit assez tôt un objet (une arme) laissant un peu deviner que la présence de Fausto et Jésús (les « bastardos » du titre, rebuts d’un système, d’un ordre mondial les ayant destinés à vendre leur âme pour subsister) dans les environs, serait loin d’être hasardeuse.

Rencontre, donc, d’une femme seule (son fils s’est absenté), et d’un duo de garçons armés. A partir de là, le statu quo longuement annoncé s’établissant enfin, reste à se situer, selon sa sensibilité, dans une configuration dramaturgique aussi claire qu’instable. Il y a bien sûr quelque chose de Haneke, dans cette mise en présence, au centre de l’image, de l’Ombre et de la Proie. Quelque chose de Funny Games. Le même trouble prend corps lorsque se propage, sur la durée, l’incertitude (ou plutôt la presque certitude) quant à l’issue de pareille situation limite. La morale pousserait bien sûr à se positionner en faveur de la Proie, prier pour son salut, espérer, sinon l’intervention plus ou moins divine d’une « justice » providentielle, tout du moins l’apprivoisement progressif de l’Ombre, sa prise de conscience finale de l’inestimable valeur d’une vie, même devant la perspective d’une future prospérité financière.

La règle du jeu critique déconseillant de dévoiler l’issue – toute évidente soit-elle – d’un film, ne reste donc plus qu’à conclure sur la limite de pareille restriction conceptuelle. Ne faire tenir une fiction que sur le fil blanc d’un aussi froid et lisible dispositif ne manque presque jamais de tuer cette même fiction dans l’œuf. En ce sens que les personnages ne sont pour ainsi dire jamais vraiment présentés pour autre chose que leur simple fonctionnalité : les tueurs à gage guident leur future victime, arme au point ; cette victime, forcément prête à tout pour son salut, voit son destin se nouer à la guise d’une constante docilité ou d’une témérité soudaine. Difficile alors d’attendre du film quelque réelle surprise, un moindre inattendu : au jeu de l’anticipation, tout le monde sortira finalement gagnant… bien triste équité, au fond.

Titre original : Los bastardos

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Durée : 90 mn


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