Comme dans Bestiaire, mais sur un mode peut-être encore plus distant, plus allégorique aussi, c’est l’homme qui, en creux, intéresse Denis Côté. Les interrogations soulevées appartiennent au spectateur seul : quel est le rapport de l’humain avec la machine ? Comment le travail manuel perdure-t-il dans une société archi-automatisée ? Le réalisateur, comme à son habitude, est trop malin pour donner la moindre clé – l’interprétation est libre, on ressortira de là sans réponse, sans certitude aucune. Il scrute les presses, matériel de forage et autres appareils de distribution de grains de café pour dire le travail comme objet abstrait : l’implacable systématisme de la chaîne de montage (Côté en filme plusieurs, qui semblent toutes être la même), interroge sur la nécessité du labeur comme sur l’assujettissement de l’homme à celui-ci. Rien de social pourtant : les ouvriers sont, à temps égal, montrés durant leurs pauses déjeuners ou cigarettes, leurs conversations sont légères et pourraient être des lignes de dialogue.
Après quarante-cinq minutes versées du côté du documentaire, le film, dans un dernier quart, introduit des acteurs, venant bousculer encore un peu plus la recherche d’une ligne directive à laquelle se rattacher. Soudain, l’usine n’est plus seulement simple lieu de travail, mais devient aussi scène de théâtre ; les actions manuelles – des draps à teindre, des sachets à fermer – ont désormais valeur de didascalie. L’humour, non plus, n’est pas absent de Que ta joie demeure, à l’image de cette dernière scène où un enfant, ayant fait irruption dans l’enceinte de l’usine, interprète au violon, un peu désaccordé, un extrait d’un choral de Bach donnant son titre au film. Nul besoin de chercher à raccrocher les wagons : Denis Côté, dans un entretien retranscrit en dossier de presse, parle de “film-laboratoire”. C’est sans doute la meilleure définition qu’on puisse en donner, lieu clos où les résultats sont incertains mais où l’inventivité et la recherche sont à l’œuvre, et en mouvement perpétuel.