Conversation avec Thierry Jousse

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La sortie de son beau deuxième film nous semblait l’occasion rare d’interroger l’ancien rédacteur en chef des « Cahiers du cinéma » sur – entre autres choses – ce « jeune cinéma français des années 90 » dont il fut l’un des observateurs privilégiés.

C’est un Thierry Jousse un peu anxieux, en ce jour de sortie de son nouveau film, que nous rencontrons ce matin. L’exercice partiellement dû aux aléas de nos disponibilités respectives de parler de son film avec un cinéaste à l’heure où les dés sont jetés pouvait sembler périlleux, ouvrant notamment à la crainte du flottement, de la distraction. Au lieu de quoi l’auteur du beau Je suis un no man’s lands’est avéré un interlocuteur passionné, assumant parfaitement ses choix tout en préservant une grande humilité dans l’évocation de son passé de critique, son présent de cinéaste, la suite de son histoire avec le cinéma. Embarquement pour une longue traversée du cinéma contemporain, entre regard sur la Nouvelle Vague après la disparition de ses héros, bilan sur le « jeune cinéma français des années 90 » dont il fut l’un des plus éminents observateurs et point sur une vie de cinéphile après la critique.

Le film

Presque cinq ans séparent les sorties respectives de Je suis un no man’s land et votre précédent long métrage, Les invisibles. Soit un intervalle temporel relativement grand… Le passage au second film a-t-il été une difficulté ?

Une difficulté, oui et non. Mon premier film avait un peu attiré l’attention, mais pas fait beaucoup d’entrées en salle. Il a beaucoup tourné dans les festivals internationaux, fait notamment l’ouverture de la Semaine de la critique à Cannes, mais il est vrai que la sortie salle n’a pas été très bonne, vu que ce n’était pas un film très « grand public ». Du coup, je pense que ça a un peu plombé l’ambiance derrière. Après, il y a deux facteurs justifiant plus ou moins cet écart : un temps d’écriture assez long, parce-qu’en fait discontinu (le film a beaucoup évolué, au départ assez réaliste, il est devenu de plus en plus fantasque, se rapprochant au fur et à mesure du conte) ; après, le financement n’a pas été simple, comme beaucoup de films de ce type, proposant beaucoup de genres différents. On avait une certaine bienveillance pour le projet, mais Philippe Katerine n’était pas considéré par les gens du cinéma comme un acteur « bankable », comme on dit aujourd’hui. Ils n’avaient rien contre dans l’absolu, mais ne se ruaient pas non plus dessus (ce n’était pas Benoît Magimel, Benoît Poelvoorde ou Daniel Auteuil… ) Bref, pour toutes ces raisons, et sans doute en raison aussi de mon rythme à moi, ma paresse et parce-que j’ai fait des choses entre temps – notamment un documentaire sur la musique de film pour Arte –, ça a été effectivement un peu long. Je souhaiterais que ça le soit moins pour le prochain…

Donc il y aura bien un prochain film ?

J’espère ! (rires) J’ai deux projets encore un peu embryonnaires, mais j’espère en tout cas ne pas m’arrêter en si bon chemin… On va voir.

Concernant Philippe Katerine, en engageant comme tête d’affiche de ce film un personnage aussi « fantasque » que lui, vous deviez vous douter   que la plupart des questions reposeraient justement sur le choix de l’acteur. Dans Je suis un no man’s land, on a le sentiment que vous avez totalement pensé, réfléchi le film autour de la figure Katerine, de l’image de ce dernier dans l’inconscient collectif, pour progressivement désamorcer le cliché. Y avait-il pour vous la possibilité d’employer un autre acteur ?

Non. Parce-que ce film a effectivemment été pensé autour de Philippe Katerine. On se connait depuis un peu plus de dix ans, j’ai déjà fait notamment deux moyens métrages avec lui, il jouait un petit rôle dans mon premier long métrage, j’ai joué dans son film Peau de cochon… On a donc une histoire commune à la fois amicale et un peu professionnelle, même si je n’aime pas tellement le mot. Ce film m’a donc semblé être un prolongement naturel de ce qu’on avait fait auparavant, même s’il est quand même très différent des autres. Oui, le film s’est donc vraiment articulé autour de sa figure. La question de la célébrité est traîtée très rapidement au début, on s’en est débarrassé dans une sorte de prologue. J’ai désamorcé très tôt la question du chanteur « public », en concert, en coupant dès l’entrée en scène du personnage pour ensuite, effectivement, aller voir ailleurs, un peu « hors-champ », un peu off, à la campagne. C’est à la fois un personnage qui tient de Philippe Katerine et un pur personnage de fiction. Ce n’est pas la copie conforme, la décalcomanie de Katerine. On se sert de certains éléments, mais il s’agit quand même d’un personnage strictement fictionnel, c’est quand même important de le rappeler.

 

 

Philippe n’est pas Philippe Katerine…

Philippe n’est pas Philippe Katerine. Il y a un peu de Philippe Katerine en lui évidemment, mais il est aussi peuplé par d’autres personnages, d’autres personnes – dont sans doute moi –, mais aussi par la fiction. Quand on fait un film, l’idée est quand même d’essayer de faire exister un monde – entre guillemets et sans prétention – un peu « autonome », ne renvoyant pas seulement à la réalité tangible.

Nous nous attendons au départ à ce que Je suis un no man’s land soit une comédie, notamment au vu de la première demi-heure assez fantaisiste, avec la jeune groupie, l’ancien ami qui resurgit… et nous surprenons progressivement à être émus par l’histoire de ce garçon qui règle presque des comptes avec son histoire. C’était une intention, au départ, de rendre un passé à ce personnage un peu fantaisiste et sans histoire qu’est Katerine, en faire quelqu’un de simplement humain ?

Oui, mais ça correspond aussi à ce qu’il est dans la vie ! C’est un garçon doux, qui a un imaginaire très peuplé et libre, quelqu’un de très gentil surtout. J’avais envie de faire voir au spectateur cette partie de lui, quelque chose de plus intime. Lui et pas lui à la fois. Envie de déporter le spectateur sur autre chose. Effectivement, par ailleurs, le mélange des genres étant une chose que j’aime bien au cinéma, j’ai tiré à forte dose sur ce film. L’idée que le spectateur puisse penser qu’il est dans un certain film et qu’à un moment donné on puisse le dérouter sur un autre film – même si c’est le même – me plaît. J’aime être surpris au cinéma, ne pas savoir ce qui va se passer dès le premier plan. Ce n’était pas non plus un calcul, ça s’est fait progressivement : le film a suivi son cours et je l’ai accompagné.

Peut-on penser que la vraie histoire de Je suis un no man’s land est celle d’une mère et de son fils ? La scène de coiffure entre Aurore Clément et Philippe Katerine semble presque être la matrice de tout le récit…

C’est sûr que c’est une scène importante, arrivant vraiment au milieu du film, comme si un deuxième volet, plus dramatique, commençait à ce moment là. Après, je pense que l’on pourrait tout aussi bien dire que c’est un film sur le rapport avec le père, même s’il est différent et qu’il n’y a pas beaucoup de dialogue entre eux – c’est le moins qu’on puisse dire. Pour moi, je pense que c’est ça qui a été pratiquement le point de départ, la question du père plus que de la mère. Dans une version antérieure du scénario, la mère mourrait très tôt, quasiment au début du film, donc le face à face avec le père se faisait tout de suite. Ca a changé en cours de route pour plein de raisons. Mais c’est vrai que oui, cette question de la mère était à la base, au fondement du film. On a tourné autour, on s’en est éloigné, on a intégré d’autres éléments mais oui, c’était une question très importante.

 

 

Vous filmez la mort de la mère de manière très pudique, très subtile. C’était une exigence de votre part d’esquiver le pathos ?

Disons que ce n’est pas mon tempérament naturel, je n’aime pas trop les choses qui sont dans une intensité permanente. J’aime bien l’idée qu’il y ait à la fois quelque chose d’assez dramatique et qu’en même temps cela soit vécu intérieurement. On n’était pas sur un objectif de filmer l’agonie de quelqu’un – ce qui a été déjà fait, La gueule ouverte de Maurice Pialat est notamment un film qui a affronté ça avec une très grande force et une très grande violence – mais à l’opposée de ce point de vue là. J’ai voulu que ce soit une sorte d’évaporation plutôt qu’une disparition, qu’elle ait déjà un côté un peu fantômatique. Le personnage de Philippe ne redouble pas l’émotion parce-que je crois qu’il a une autre manière de l’exprimer. En se recouvrant de foin, par exemple, ou en s’alongeant sur le parvis de l’église…

En composant une chanson…

Oui. Tout ça est très elliptique, sans doute assez pudique, effectivement. C’est en tout cas ce que je préfère au cinéma.

Vu que vous êtes un critique connu et reconnu, vous vous doutez bien que l’on regardera aussi votre film à travers vos écrits. Peut-on chercher dans Je suis un no man’s land des références à des cinéastes dont vous avez beaucoup parlé, David Lynch, Stanley Kubrick ? Lorsque vous réalisez, êtes vous encore un petit peu « critique », influencé par ce cinéma que vous affectionnez ?

Pas directement. Je crois que quand on tourne, on a la tête un peu « lavée » de ses références. Je m’en méfie d’autant plus que je sais là d’où je viens. Ce film n’a en tout cas pas été fait là dessus. Après, si j’ai des références sur un plateau, ce sont des choses hyper concrètes, pas un imaginaire ou un auteur… Des détails très concrets qui peuvent aider à régler une scène, un plan… Sur ce film, on se disait d’ailleurs avec Philippe sur le plateau qu’il n’a pas de généalogie directe. Je dis ça sans prétention, là encore. J’ai pensé à quelques films comme Un jour sans fin (Harold Ramis – 1993, ndlr) par exemple, pour le principe de répétition, de blocage, etc. On peut aussi penser au Prisonnier, aux Anges exterminateurs (Jean-Claude Brisseau – 2006, ndlr), tout ce que vous voulez, mais ce sont juste des choses qui ont pu nous avoir traversé l’esprit lors de l’écriture du scénario, disons. Ce n’est pas un film peuplé de références, même si je me doute que la question se pose logiquement pour moi plus que pour un autre.

La critique, les Cahiers

Quel regard portez-vous sur les critiques de vos films, vous en avez déjà lues ?

Je lis beaucoup de choses. Il y a sur internet des choses parfois très brutales – ce qui se comprend en même temps, sur ce médium plus que dans la presse écrite… Ce qui est assez drôle, si on peut dire, c’est que l’article le plus sévère est celui des Cahiers du cinéma. C’est même de très loin l’article le plus violent. C’est aussi une manière de couper le cordon définitivement. Ca m’a un peu blessé, mais en même temps je me suis dit que c’était l’occasion d’enfin oser dire « bye bye les Cahiers ». Après oui, je lis les critiques. Difficile d’être critique des critiques de son propre film, surtout pour un ancien critique. Quand on lit une critique, on est évidemment attentif au fait qu’elle soit bonne ou mauvaise. Mais il arrive qu’une critique nuancée, pas forcément super bonne, puisse aussi nous apporter quelque chose. J’ai surtout envie de lire des textes interessants, mais il n’y en a pas forcément une dizaine… J’ai déjà lu sur Internet des choses vraiment pas mal.

Parlons des Cahiers du cinéma, justement, dont vous avez été le rédacteur en chef pendant de nombreuses années…

Cinq ans. Durant la première moitié des années 90.

Votre regard sur cette revue depuis votre départ en 2003 ?

C’est difficile. Je ne suis pas dans la meilleure période pour porter un regard objectif sur les Cahiers, vu le traitement succinct de mon film… Après, si j’essaie de prendre un peu de distance, disons que ces dix dernières années ont été une période un peu complexe. Beaucoup de soubressauts, de coupures, de ruptures, un rachat par des propriétaires anglais, Phaidon, qui n’est pas forcément une chose simple… Tout ça a créé une ambiance un peu compliquée, complexe, parfois difficile, un peu heurtée. Avec des moments plus sereins, mais assez rares. Je pense que la revue a souffert d’une instabilité assez grande ces dix dernières années et donc, au bout du compte, d’un certain manque de lisibilité. A cause de ça, mais aussi d’autres facteurs. C’est un peu dommage… Après, c’est aussi différent de la période où j’en était le rédacteur en chef, parce que tout est plus dur, la presse en général, la presse de cinéma en particulier, la critique, son influence… J’étais dans une époque où on était finalement encore un peu plus protégé, quand même, même si il y a eu des moments difficiles. Je pense que les Cahiers ont eu du mal à traverser cette époque et actuellement, je ne sais pas tellement où ils vont. Il n’y a pas eu que des mauvaises choses ces dernières années, mais je ne sais pas franchement – encore une fois en faisant vraiment abstraction de ce qui a été écrit sur mon propre film – où il vont. Ca m’inquiète un peu d’ailleurs. Ce n’est pas parce-que la revue existe depuis bientôt soixante ans qu’il ne faut pas rester vigilant, veiller à ce qu’elle garde son cap et continue tout simplement à exister.

Claire, Arnaud, Olivier et les autres

Nous consacrons cette semaine sur le site Il était une fois le cinéma un dossier au « jeune cinéma français des années 90 », plus particulièrement à trois des cinéastes ayant « survécu » à cette époque : Arnaud Desplechin, Olivier Assayas et Claire Denis. Avec le recul, vous qui avez été l’un des grands observateurs de cette période, vu l’émergence de ces jeunes cinéastes, quel regard portez-vous sur ce qu’il en reste, sur ces trois là et même les autres ?

Ces trois là ont plus que resisté, ils ont constitué quand même, avec Pascale Ferran et d’autres, une génération qui s’est imposée. Assayas vient d’avoir le Golden Globe pour Carlos et je suis super content pour lui, parce-qu’il le mérite. J’ai effectivement été le contemporain de leur émergence en tant que rédacteur en chef des Cahiers, contemporain de l’apparition de nombreux cinéastes prometteurs – il y avait des nouveaux Américains, une génération de Français, des asiatiques… Disons qu’on était dans une période très stimulante où le cinéma commençait à se renouveler. Concernant le cinéma français, ça a été une période interessante, qui n’a certes pas donné que des œuvres flamboyantes, mais qui je crois reste le dernier moment pour l’instant – je dis bien pour l’instant – ayant vu émerger en France une « génération ». Depuis, il y a eu bien sûr d’autres apparitions de cinéastes talentueux, mais ça n’a pas forcément constitué une génération. Nous n’étions pas du tout dans un phénomène de « nouvelle vague », rien à voir  – il n’y a pas forcément de lien direct entre Assayas, Denis et Desplechin – mais dans un moment où ont émergé je dirais des gens d’« après » la Nouvelle Vague. Il y a eu bien évidemment plein de cinéastes après la Nouvelle Vague, mais je pense que celle-ci a tellement marqué à un moment donné l’histoire du cinéma français que çela fut difficile de proposer quelque chose de neuf tout de suite après – bien qu’il y eut des individualités très fortes telles que Garrel et les autres. Ces trois là connaissent très bien l’Histoire du cinéma, la Nouvelle Vague, et font donc partie de la première génération à s’en être réclamée et en même temps détachée. C’était quelque chose de très important, à ce moment là.

 

 

Vous avez d’ailleurs un peu fait le point sur vos années Cahiers dans votre livre-recueil, Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert (Editions Cahiers du cinéma, Collection « Essais », 2003)… Deux des grands noms de la Nouvelle Vague sont décédés l’année passée. Pensez-vous que c’est désormais vraiment la fin d’une époque ? Leur cinéma va-t-il quand même survivre à leur disparition ?

La Nouvelle Vague est de toute manière ancrée depuis longtemps dans l’Histoire du cinéma, donc évidemment que les films vont survivre. C’est même déjà fait, il n’y a même pas à discuter. La preuve que c’est toujours vivant : on continue à accuser la Nouvelle Vague de tous les maux du cinéma français. Ca veut bien dire qu’elle continue à être forte. Accusation par ailleurs incohérente, vu qu’on la reconnait à la fois comme un moment crucial tout en persistant à la voir d’un mauvais œil. C’est en même temps le signe d’une vitalité. Sinon oui, les disparitions de Rohmer puis de Chabrol m’ont bien sûr affecté. Celle de Chabrol m’a particulièrement touché parce-que je l’avais pas mal rencontré à une époque et que c’était un homme délicieux et d’une très grande intelligence ; je n’aime pas tous ses films, il y a eu des hauts et des bas, mais c’est un grand cinéaste malgré tout, qui a été un peu sous-estimé – pas par le public mais par la critique – à un certain moment. Ca m’a fait réfléchir, oui. Je me suis effectivement dit : « c’est la fin de la Nouvelle Vague ». Je pense que Godard, qui est pratiquement avec Rivette le dernier survivant, ne fera plus de film, que Film Socialisme est peut-être son dernier film ; Rivette n’en fera plus, ça j’en suis certain ; Jacques Rozier, qui fut un compagnon de route, n’en a pas fait depuis des années et je doute qu’il en refasse encore… On est donc à un moment où effectivement, on peut croire la Nouvelle Vague ne fera plus de films. Ils ont d’ailleurs tous tourné bien au-delà de la période Nouvelle Vague. Toute ma jeunesse, puis plus tard durant les années Cahiers, on attendait avec grande impatience parfois les films des cinéastes de la Nouvelle Vague. Quand j’ai vu Sauve qui peut la vie de Godard, qui était un peu son retour au cinéma, ce fut par exemple un moment marquant dans mon histoire avec le cinéma. Ils sont dans l’Histoire, maintenant, ce qui va être interessant, c’est de voir comment tout ça va féconder des générations qu’on ne connait pas encore et qui vont peut-être s’en réclamer de manière surprenante. Comment la Nouvelle Vague va-t-elle encore fertiliser la terre du cinéma français ?

Le spectateur

Pour finir, partons de l’idée que l’on resterait critique toute sa vie. Êtes vous interessé par des cinéastes actuels, émergents, français ou internationaux ? On parle notamment beaucoup en ce moment de Sophie Letourneur, David Fincher commence à acquérir une certaine respectabilité…

Je reste bien sûr spectateur. Si vous voulez, c’est en tant que spectateur que je suis devenu critique, mais aussi que je suis devenu cinéaste. Sans avoir été spectateur d’abord, je n’aurais pu être ni l’un ni l’autre. Je n’ai pas encore vu La vie au ranch, donc je ne peux pas me prononcer sur Sophie Letourneur. David Fincher m’a beaucoup interessé sur Zodiac, un film que j’adore, et j’ai aussi beaucoup aimé un film qui a été moins bien reçu, d’une réputation moindre, L’étrange histoire de Benjamin Button. Un film assez étrange, pas totalement réussi, mais plein de choses magnifiques, notamment les trois derniers quarts d’heure. The Social Network m’a moins touché, parce que j’ai eu le sentiment que c’était un film peut-être trop efficace. Une efficacité redoutable devenant pour moi un peu un défaut, car j’ai l’impression que le film est au final moins secret. Ca manque un peu de mélancolie pour moi, c’est presque trop rapide. Zodiac est un film au fond très mélancolique, sans que cela soit non plus mis au premier plan, ce que j’aime bien. Oui, je continue à m’interesser… J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir il y a quelques années les films d’Apichatpong Weerasethakul. Je suis toujours attentif, par contre, ce que je vois, c’est que quand on n’est plus critique professionnel, on est moins – même s’il m’arrive d’écrire à droite à gauche – au fait de « ce qui se fait ». On ne va plus forcément dans les festivals, sauf à la rigueur pour montrer ses propres films – je vais par exemple à Rotterdam à la fin de la semaine. On a moins d’antennes avec le présent, parce-qu’on est tout simplement moins attentif et disponible. Surtout, on voit moins de films, n’ayant plus l’occasion de les découvrir en amont de leur sortie. Aujourd’hui, des cinéastes peuvent individuellement m’interesser, mais je ne vois de groupes ou de générations émerger nulle-part. C’est peut-être ça qui est assez nouveau pour moi.

 

 

Déjà des projets, filmés, écrits ?

Des embryons de projets en ce qui concerne la fiction, des choses que j’espère développer assez vite dans les mois qui viennent, le temps de reprendre un peu mes esprits. On m’avait fait une proposition, mais je ne sais pas si cela va se concrétiser, de réaliser un film entier avec des archives de l’INA, un film de montage. Ça, par exemple, ça m’interesserait beaucoup, parce-que j’aime bien tenter des expériences différentes, telles que mon documentaire sur la musique de film pour Arte. Je suis ouvert à toutes les possibilités de film, ne faire que de la fiction m’interessant moins au fond que de multiplier les expériences. On verra ce qui se réalise, le point d’interrogation est juste là.

Un retour à la critique est envisageable ?

Non, pas dans le sens classique du terme en tout cas. Après, écrire ponctuellement, faire un livre, pourquoi pas ? Mais si vous entendez la critique comme travail au quotidien, au mois ou à la semaine, venant un peu alimenter l’actualité, non, ça je ne le referais pas parce-que je crois que je n’en serais plus capable. J’ai un peu perdu l’énergie, le goût de ça. Je fais aussi de la radio, sur France Musique. C’est plus ça qui m’interesse aujourd’hui : plus que la critique, la programmation, aussi bien musicale que cinématographique. Cela m’est arrivé quelquefois au musée du quai Branly et ailleurs. Ça par contre oui, je pense que c’est un bon compromis entre la critique et la réalisation, où on a un peu l’impression de faire les deux à la fois.

Propos recueillis à Paris par Sidy Sakho, le 26 janvier 2011

Remerciements sincères à Anaïs Monnet, Annie Maurette et bien sûr Thierry Jousse pour sa grande disponibilité.


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