Piégée

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Accomplir sa mission. Avec brio et ironie…

D’aucuns le disent fini – voire jamais commencé. D’autres, pourtant défenseurs de la première heure, content l’explosion en plein vol d’un talent trop tôt salué (une Palme d’or donnée trop vite pour Sexe, mensonges et vidéo). Et si Soderbergh n’était surtout pas là où on semble vouloir le mettre depuis si longtemps ? Si, finalement, son travail ne rentrait pas dans les cases trop restrictives dans lesquelles on essaie tant bien que mal de le faire tenir ? À fonctionner selon nos propres attentes, on finit par ne plus regarder ce que l’on a sous les yeux. Contagion, son précédent film, n’était déjà pas le thriller angoissant sur le virus dégommant peu à peu la planète. Exit le compte à rebours mortel, et bonjour à la déconstruction des codes et des discours. C’est le même Soderbergh en mode glamour et mineur qu’on retrouve quelques mois plus tard dans le champ du film d’action.

Ainsi ce « petit » Piégée est tout sauf le film d’action branque et pétaradant bon pour les bacs à soldes, mais un terrain de jeu à l’échelle du film dans lequel le réalisateur peut disposer et malmener les clichés et passages obligés du genre. Dans l’apparence générale, Piégée est d’une simplicité déconcertante : l’agent d’élite, tueuse à gage, good girl, bad guy… Mallory Kane (spécialiste ès arts martiaux avant d’être actrice) est piégée au cœur d’une machination internationale. Par conséquent, elle change de pays plus souvent que de chemise, elle court, elle tire, elle saute par-dessus les immeubles… Évidemment, l’intrigue est bien plus complexe,  implique des patrons véreux, des trafiquants forcément étrangers, le gouvernement… Comme à son habitude, Soderbergh sature le spectateur d’informations, trop pour un seul homme, trop pour une seule vision, l’essentiel n’étant absolument pas dans la résolution d’une intrigue, volontairement rebattue, mais dans l’interrogation d’un genre bien précis. Prenant comme modèle avoué celui des premiers James Bond, le film est le lieu d’un défilé perverti des codes d’un genre et de ses contradictions.

 

Exercice de style, Piégée ? Peut-être. Mais quel style ! L’entreprise en deviendrait presque théorique. Les scènes d’actions, plus que l’assouvissement bêta du plaisir du spectateur, deviennent ainsi de purs objets d’appréciation visuelle tant la chorégraphie des combats – et leurs lieux (hôtel de luxe, plage au soleil couchant…) – est poussée à l’extrême. On sent le pur plaisir de filmeur et monteur que prend Soderbergh à ces scènes. Sauf que jamais dupe, il n’hésite pas à asséner quelques coups bien sentis : renverser le plaisir pris en montrant l’autre face de ces scènes (le dégoût, quelques lambeaux de chairs qui traînent…), le caractère résolument pas sexy de certaines scènes (quand on court on souffle comme un bœuf) et le désormais coutumier dézingage des icônes sexy d’Hollywood en plein cœur du film. Pas de pitié pour les stars donc. Après le décès cruel de l’« héroïne » Kate Winslet et le scalp en début de film de Gwyneth Paltrow dans Contagion, on a ici droit à l’éviction rapide du métrosexuel de pacotille Michael Fassbender, à l’humiliation d’Ewan McGregor et à un plan sur le bide naissant d’Antonio Banderas, un barreau de chaise dans la bouche… C’est même un effet classique du western qui apparaît ironiquement en arrière-plan (la boule de feuillage qui roule au vent) lors d’une scène nécessaire mais un peu trop sérieuse. Un caractère potache comme pour attester du détournement entrepris.

Parce que Soderbergh n’est finalement jamais plus intéressé que par le déplacement, la mise en place que par la réalisation des choses en elle-même (la série des Ocean en est l’exemple type). On parle beaucoup chez Soderbergh, on prend des informations, on fait des plans, on attend… Mais le temps de l’action ou de la concrétisation du plan est assez bref. Les attentes du spectateur sont reportées ou à peine assouvies. Dans ses derniers films (depuis au moins l’important Girlfriend Experience), c’est semble-t-il à une mise en perspective, voire en abyme, du spectateur que s’adonne le réalisateur. Spectateur qui est ici littéralement redoublé par la présence du jeune homme pris en otage par Mallory qui devient l’involontaire auditeur de son récit. Celui-ci est notre double parfait : il suit son récit, se perd dans la masse d’informations, subit totalement les situations qui lui sont imposées. Il attend que quelque chose se passe, un finale grandiose, une échappée belle. Mais la course-poursuite, comme le film, sera interrompue de la manière la plus stupide qui soit. Si Soderbergh joue avec les codes, c’est évidemment pour jouer avec nous. Petit exercice un poil facile que Piégée donc. On peut s’énerver d’un réalisateur qui fait autant le malin – le pied de nez final de Piégée est vraiment comme une langue tirée vers la salle. Mais ironiquement, dans ce dernier plan, Soderbergh fait exactement ce que vous demandez à un film d’action : accomplir sa mission. Le spectateur est alors pris au piège dans lequel il a consenti de tomber.
 

Titre original : Haywire

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Genre :

Durée : 93 mn


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