Le Festin de Babette

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Quand la gastronomie réconcilie les âmes par magie.

La bonne chère au pays des ascètes

Comme son nom l’indique, tout Le Festin de Babette conduit vers le festin final proprement dit. Lorsque Babette (Stéphane Audran), une Parisienne réfugiée après la Commune dans une communauté danoise puritaine où elle officie comme servante auprès de deux vieilles sœurs, filles du pasteur à l’origine de la communauté, gagne à la loterie nationale, elle décide de consacrer l’intégralité de son butin à l’organisation d’un dîner à la française célébrant le centenaire de la naissance du pasteur.

Le repas occupe près d’un tiers du film. Et le sauve. Car dans cette dernière partie, le réalisateur Gabriel Axel opère un changement esthétique. Alors que les couleurs froides des côtes du Jutland dominaient les deux premiers tiers, les couleurs chaudes et les gros plans font leur apparition au moment du service. Rouge du vin, noir des blinis, doré des cailles en sarcophage, corbeille de fruits digne d’une nature-morte picturale… Chaque plat en appelle à tous les sens et tranche avec l’austérité luthérienne en vigueur dans le village.

Manque de chance, les puritains ne comprennent pas l’honorable intention de Babette de leur faire plaisir. Pour eux, une telle débauche gastronomique met à mal leur vie ascétique ; aussi préfèrent-ils ne commenter aucun plat et se réfugier dans les sermons du vieux pasteur. Pour autant, le repas fait son effet. La communauté divisée se réconcilie et surmonte les tensions qui la minaient depuis la mort de son fondateur. Les derniers mots vont au général Lorens (Jarl Kulle), ancien amour déçu d’une des sœurs, qui déclare voir la « grâce de Dieu » et sa rédemption personnelle dans les vertus de la bonne chère.

 

 

La gastronomie doit-elle plaire à tout le monde ?

Néanmoins, un tel œcuménisme pose question. D’une part, en termes narratifs, le film, se focalisant trop sur le festin, néglige les deux premiers tiers, qui ne sont en quelque sorte qu’une annonce des retrouvailles rédemptrices finales. Mal équilibré, le récit en vient à sacrifier les personnages de la première partie : le chanteur Achille Papin (Jean-Philippe Lafont) et Lorens jeune (Gudmar Wivesson), chacun amoureux d’une des sœurs, n’apparaissent que pour mieux disparaître, et leurs souvenirs ne seront convoqués que dans les derniers moments du film. Comme si la gastronomie pouvait par magie changer le destin d’une vie.

C’est prêter beaucoup trop à la seule nourriture. C’est le second problème de l’œcuménisme de Gabriel Axel. La caractérisation des personnages semble échapper à toute détermination idéologique. On peut supposer qu’une communauté rigoriste n’accepte pas complètement une Communarde en fuite. Or, leur charité chrétienne est telle qu’elle arase toute différence politique. Le film déborde d’amour et de générosité, mais d’un amour et d’une générosité jamais contextualisés, comme s’ils émanaient de pures âmes détachées de tout ancrage matériel.

Bref, ce qui manque au Festin de Babette, c’est peut-être du corps. La nourriture y apparaît dans toute sa splendeur matérielle, mais aussitôt les personnages et la mise en scène la subliment en grâce divine éthérée. À trop nourrir l’âme et les bons sentiments, le film oublie de rassasier le corps.

 

Titre original : Babettes Gæstebud

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Durée : 102 mn


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