Destricted

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En sept courts métrages explicites, sept réalisateurs dynamitent les frontières entre le cinéma et la pornographie. Ce film collectif a vu le jour grâce à Mel Agace, qui, à la suite de son ouvrage Sexe (Hachette, 2003), a souhaité traduire les codes de la pornographie à travers différentes visions artistiques. Le genre pornographique étant souvent […]

En sept courts métrages explicites, sept réalisateurs dynamitent les frontières entre le cinéma et la pornographie.

Ce film collectif a vu le jour grâce à Mel Agace, qui, à la suite de son ouvrage Sexe (Hachette, 2003), a souhaité traduire les codes de la pornographie à travers différentes visions artistiques. Le genre pornographique étant souvent en manque de créativité esthétique, l´occasion était donnée d´offrir ses lettres de noblesse à un genre qui en avait bien besoin.
Destricted a une particularité qu´il est nécessaire de préciser. Ayant fait appel tout autant à des réalisateurs qu´à des icônes de l´art contemporain et corporel, le concept d´Agace est assez hybride dans sa forme et se rapproche plus de performances visuelles que d´un véritable film de cinéma. D´où sa diversité mais aussi un aspect bancal et expérimental. Dans tous les cas, le consensuel ne fait pas parti du trip Destricted.

Premier segment à ouvrir les festivités, Hoist, de l´artiste organique Matthew Barney. Connu sur la scène internationale pour son cycle visuel Cremaster – ensemble de cinq films embrassant la construction de l´Empire State Building, les francs-maçons, les matières molles, les transformations corporelles, les faunes et autres réjouissances – Barney continue son exploration du corps humain avec ses pulsions psychiques et ses seuils physiques. Ici, le corps de l´homme tente de s´unifier à un engin élévateur de cinquante tonnes. En suggérant la fusion fantasmée de la mécanique et de la chair, l´artiste élabore une danse complexe entre ces deux matériaux à priori antagonistes. Mais par le biais d´une caméra délicate, Barney arrive à rendre poétique une éjaculation, et de sa sempiternelle matière blanche et molle comprise comme une excroissance de la substance corps, l´artiste démiurge complétant sa thématique du corps mutant. Aussi fascinant qu´hermétique, ce segment aspire à une sérénité machinale qui laisse rêveur.

Le deuxième segment est lui aussi réalisé par une grande figure de l´art corporel. Pionnière du Body art, Marina Abramovic n´a eu de cesse d´explorer les limites physiques et mentales de son être en se confrontant à la douleur. Après de nombreuses performances mettant son corps au service de son art, elle se dirige vers la vidéo avec Balkan Baroque en 1997. Elle présente ici Balkan Erotic Epic, où elle illustre le folklore Balkan avec une communion de la terre et des actes sexuels. Si au premier abord ses images semblent ridicules, car complètement surréalistes, Abramovic a une démarche quasi ethnologique et plonge au coeur de ce qui anime les pulsions humaines. Orientée sur les énergies corporelles et terrestres, elle propose une vision certes amusante mais tout aussi revigorante de la nature humaine. Mention spéciale à la somptueuse lumière de ce segment qui inonde les corps de ces hommes et femmes reproducteurs.

Le segment suivant est plus classique dans sa manière d´aborder la pornographie. House call de Richard Prince, est construit sur le refilmage et le recadrage d´un film porno des années 80, synchronisant les images sur une musique expérimentale et spectrale. Connu pour se réapproprier des images de la culture populaire, il essaye ici de détourner des images de leur contexte pornographique pour en faire un essai musico-visuel. Si la tentative est intéressante, elle n´en est pas moins édulcorée par la longueur (12 mn) du film. L´essai aurait été plus percutant sur une courte durée.

Premier véritable segment d´un réalisateur de cinéma, Impaled, de Larry Clark, se veut un documentaire sur l´univers du film X, tout en en inversant la tendance. En effet, Clark organise un casting de jeunes hommes, les interrogeant sur leur perception du sexe et leur rapport à la pornographie, pour à la fin confronter l´heureux élu à une star du X. L´homme se dévoile, et la femme arrive ensuite. De sa manière si singulière d´aborder la jeunesse, c´est-à-dire crue et directe, Larry Clark pointe du doigt l´impact qu´a eu la pornographie sur cette génération. Moments touchants et comiques, le casting va laisser place à la séance obligée de baise avec l´actrice porno. Le tout filmé avec un naturel et une décontraction à mille coudées au-dessus de n´importe quel film X amateur. Ludique et drôle, Clark a encore une fois une vision très lucide de la jeunesse et de son rapport à la sexualité.

Sync, de Marco Brambilla, est le film le plus court de Destricted. En une minute, ce photographe-vidéaste compile un millier d´images extraites tant de films pornos que de films hollywoodiens. Peut être pour montrer l´analogie entre le porno dur et l´hypocrisie puritaine des films à grand spectacle. Mais ce segment est trop simpliste pour être convaincant.

Death Valley, réalisée par la seule femme du collectif, Sam Taylor-Wood, confronte l´aridité de l´homme à celle d´un des endroits les plus chauds du monde. Dans un espace grandiose où la fertilité a peu de place, la réalisatrice filme un homme en train de se masturber frénétiquement, accablé par la chaleur étouffante du lieu. Un seul plan, un homme, un lieu. On est plus ici dans la performance que dans le cinéma. Qu´importe ! L´image, très travaillée, la tension de l´homme, qui arrive tout juste à ses fins, et l´infini du lieu qui rend étouffant l´action, suffisent amplement pour traduire une vision masochiste du plaisir sexuel.

Le dernier segment du film est d´ailleurs le plus masochiste et le plus déviant. Normal quand on connaît son réalisateur, Gaspard Noé, coupable de deux pellicules déjà très portées sur le sexe et ses extrêmes, Seul contre tous et Irréversible. Baptisé We fuck alone, Noé filme la masturbation d´une jeune femme avec son ours en peluche, puis bascule sur celle d´un homme avec sa poupée gonflable. Ainsi, il prolonge sa plongée dans la solitude glauque de l´homme face à son plaisir. Attendu comme toujours car nous ne savons jamais quelle pirouette formelle il va utiliser pour mettre en forme ses cauchemars, Noé nous livre une nouvelle pièce qui tourne un peu en roue libre. Si le sujet en soit rentre très bien dans la thématique de Destricted et dans celle de son auteur, la forme adoptée agace plus qu´elle ne fascine. Après le travelling cut et les panneaux d´avertissements dans Seul contre tous, après la caméra nauséeuse en plan séquence d´Irréversible, voici les plans stroboscopiques de We fuck alone, et ce pendant 23 minutes. Mais après tout, n´est ce pas une des marques de fabrique de Noé que de révulser à tout prix le spectateur. Sans oublier que dans le morne paysage cinématographique français, lui au moins, il expérimente.

Difficile d´avoir un avis tranché sur cet objet qu´est Destricted. Provoquant, drôle, pathétique, abstrait, inutile, beau, on pourrait continuer longtemps comme ça. Mais c´est surtout sa forme en tant que telle, croisement bâtard de plusieurs imaginaires, qui rend cette oeuvre indispensable. Car à l´heure de la multiplication des disciplines artistiques et des supports multimédias, Destricted est le plus beau représentant de cette génération mutante.

Titre original : Destricted

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Genre :

Durée : 115 mn


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