127 heures

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Pour son premier film post Oscar, Danny Boyle délivre un curieux objet témoin de son évolution des années 2000.

Au premier abord, ce nouveau film de Danny Boyle semble être un choix conscient du réalisateur de faire une œuvre en tout point opposée à son précédent et célébré Slumdog Millionnaire. Au conte de fée moderne de Slumdog répond un scénario adapté du livre de la réelle mésaventure de Aron Ralston, qui se retrouva six jours et cinq nuits le bras coincé dans un rocher, seul au fond d’un canyon. Ce cadre minimaliste et resserré (autant esthétiquement que narrativement) répond également au foisonnement de péripéties, au Bombay surpeuplé et la fougue galvanisante du film de 2008. Et pourtant, malgré les apparences, les deux œuvres sont étonnamment proches l’une de l’autre et significatives du changement amorcé par le réalisateur depuis le début des années 2000.

Pour comprendre cela, il faut sans doute remonter au film le moins connu d’une filmographie plutôt populaire, Millions, sorti en 2004. Jusqu’à celui ci, Boyle est plutôt un cinéaste associé à une tonalité noire (La Plage, 2000), cynique (Petits Meurtre entre amis, 1994) et désespérée (Trainspotting, 1996), et cela même lorsqu’il s’attaque à des genres populaires comme la comédie romantique Une Vie moins ordinaire (1997). Millions, malgré quelques maladresses, marquait donc une transition, le passage de Boyle à une facette plus lumineuse avec cette curieuse histoire de petit garçon qui, à quelques jours du passage à l’euros, décide de faire le bien avec le butin d’un cambriolage qu’il a découvert. Touchant, naïf et original Millions a réellement changé l’approche de Boyle sur ses sujets, ce qui se ressentira sur ses films suivants comme Sunshine (qui malgré son ton sombre s’offre une étonnante note d’espoir dans sa conclusion) et surtout le conte moderne Slumdog Millionnaire. Dès lors (et pour qui connaît le livre de Ralston), ce 127 heures ne pouvait tout à fait avoir la noirceur qu’on semble en droit d’attendre au premier abord.

Boyle évite totalement la facilité de l’épure documentaire et évacue tout réalisme artificiel à son récit, esquivant ainsi le gadget du film concept en faisant confiance à ses qualités de narrateur. La première partie du film est donc sacrément tapageuse, avec un Boyle retrouvant ses réflexes tape à l’œil pour nous faire ressentir le sentiment de toute puissance du frimeur individualiste incarné par James Franco. Loin d’en être antipathique pour autant, notre héros est présenté dans toute sa fougue insouciante, le temps d’une jolie rencontre avant le drame qui va l’immobiliser. Une nouvelle fois, alors que l’on pourrait s’attendre à une certaine introspection et retenue dans le cadre clos qui emprisonne le héros, Boyle surprend. L’idée est de ressentir physiquement comme spirituellement la manière dont l’aventure va profondément transformer Ralston et l’amener à se remettre en question. La première approche est de plonger dans ses souvenirs à travers des visions de son passé et des personnes qui lui sont proches. Dans l’idée, le procédé est très intéressant, mais malheureusement la nature des souvenirs qui submergent Franco s’avère trop commune et clichée, alors qu’il y avait matière à un mélodrame puissant façon Les Choses de la Vie. Les micros flash-back sont trop brefs pour sortir des lieux communs les situations qu’ils illustrent, tels Ralston se souvenant des bons moments avec son ex petite amie (jouée par Clémence Poesy) et de la rupture causée par son égoïsme. De même, l’imagerie croisant new age et romantisme Arlequin de ces moments n’est pas des plus réussies, avec photo voilée céleste du plus mauvais goût. Malgré le parti pris intéressant d’éviter la claustrophobie facile exigée, Boyle se rate donc dès qu’il cherche à faire sortir la trame de la grotte où est coincé Ralston. Par contre, dès qu’il y reste, le film atteint une puissance émotionnelle extraordinaire.

James Franco confirme enfin ici tous les espoirs placés en lui depuis des années par une prestation incroyable. Objectivement, le personnage de Ralston tel que présenté paraît assez creux et il parvient à lui donner une vraie consistance dans l’épreuve qu’il traverse. Sa confiance en soi inoxydable s’effrite ainsi peu à peu face à ce piège inéluctable, et sa présence d’esprit avec. Dans la réalité, le vrai Ralston s’était filmé pendant ces moments là et Boyle reprend bien évidemment le procédé avec brio. Franco, seul face à l’écran pendant toute une moitié de film, se met ainsi à nu de manière bouleversante. La folie, la schizophrénie guettent dangereusement Ralston, qui passe de l’abattement le plus total à l’assurance suicidaire. Boyle fait preuve de bien plus de brio pour capter l’épreuve traversée par cet homme et, entre stylisation et épure, trouve le ton juste dans un grand moment hallucinatoire. La fameuse séquence où Ralston se coupe le bras pour échapper à sa prison de roche se pare donc de cette intensité, tout l’effort et la douleur physique de l’acte se ressentant à travers le point de vue de Franco. Aucun débordement sanglant superflu, c’est juste de la rage de vivre d’un homme dont il est question. Cet instinct de survie se poursuit dans les derniers instants d’errance, avec un Ralston brisé mais transfiguré par l’expérience et plus fort que le poseur insouciant des heures précédentes. 127 heures se pose donc en véritable leçon de vie et de courage, dépassant ses maladresses par la force émotionnelle qu’il dégage et l’implication de son interprète principal. C’est également, après Slumdog Millionnaire, la preuve que Boyle est désormais devenu un cinéaste de la lumière. Cela lui va bien.

Titre original : 127 heures

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Durée : 94 mn


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