120 battements par minute

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Grand Prix du Jury à Cannes, le film séduit par son image d’une démocratie directe et sensorielle.

« Le sida est une guerre. Et comme toute guerre, il a ses collaborateurs. » Thibault, l’un des activistes d’Act Up dépeints dans 120 battements par minute, pose avec acuité le problème d’une impossible neutralité devant l’épidémie. En découle une question cruciale, qui taraude l’ensemble du film : comment engager une image ?

La parole et l’image, outils de constitution politique


Quoique son sujet se situe au mitan des années 1990, on ne peut manquer de voir l’ancrage de 120 battements par minute dans le contexte militant actuel. Un an après Nuit Debout et la lutte contre la Loi Travail, Robin Campillo propose de revenir sur le modèle activiste d’Act Up, qui, face à l’inertie du gouvernement et l’hypocrisie d’une bonne partie de la population devant le sida, qui frappait alors essentiellement « pédés, putes, toxicos et prisonniers », invente collectivement une politique des images.
 
Les mises en scène spectaculaires d’Act Up ont marqué les esprits. Sit-in, die-in, slogans chocs, jets de faux sang sur des laboratoires refusant de communiquer leurs résultats… comme le réclament les membres de l’association, ces actes visuellement frappants ont pour but de « réveiller », de sortir la population de sa léthargie volontaire. Act Up réactualise ainsi à sa manière la fameuse « prise de conscience » ouvrière, chère au marxisme, la démagogie en moins, la provoc en plus ; il ne s’agit pas de quémander le droit de vivre à une masse jamais montrée – réaction proportionnelle au silence dans laquelle elle (se) cache le sida – mais d’exhiber fièrement l’existence d’autres mœurs, souvent jugés scandaleux. « Des molécules pour qu’on s’encule » vaut tout un programme.
 
Mais ces images-chocs ne font pas l’essentiel du film. D’ailleurs, Robin Campillo choisit à dessein d’occulter la plus célèbre d’entre elles : l’obélisque de la Concorde recouvert d’un préservatif géant, simplement évoquée et d’emblée qualifiée d’« irréalisable ». Car les images découlent d’un long processus collectif, que Campillo place en ouverture de son film : les RH, réunions hebdomadaires d’Act Up. Durant ces longues assemblées générales, la parole, vivante, se heurte, se réfléchit, s’unit ; d’une kyrielle d’individus déterminés émerge une myriade de projets et commissions, à même de poursuivre la lutte contre l’épidémie sur tous les fronts. Centrales dans le film, ces séquences offrent l’exemple d’une démocratie autre, directe si l’on veut, où se constitue une parole collective et politique en réaction au blocage du problème par le gouvernement.

 

 

L’humain et le collectif

Pour autant, la mise en scène ne s’aventure pas formellement aussi loin que les provocatrices affiches d’Act Up. On peut reprocher à 120 battements par minute un certain classicisme dans la linéarité du récit ou le caractère lisse de l’image, sans porter préjudice au film.

Car cette retenue dans la mise en scène naît d’une approche discrètement lyrique d’Act Up. Certes, le collectif y importe beaucoup, mais, parmi les nombreux personnages, se détache plus particulièrement le couple formé par Sean (Nahuel Perez Biscayart), un jeune séropo, et Nathan (Arnaud Valois). Intimiste, la caméra n’hésite pas à s’immiscer dans leurs ébats nocturnes à la lueur d’un clair-obscur, sans voyeurisme malsain. La sexualité irrigue 120 battements par minute : elle est le signe d’une pulsion de vie, d’un désir érotique de survivre, de s’arracher à la mort, telle cette masturbation que Nathan accorde à Sean lors d’un séjour à l’hôpital.

Prude, l’histoire d’amour portée par Sean et Nathan sert de contrepoids au grand récit politique d’Act Up, comme pour rappeler qu’à la base de toute équipée collective, se trouvent des individus, et au fondement de toute maladie, des humains.

Titre original : 120 battements par minute

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Durée : 140 mn


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