Mystic River

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Jimmy, Sean et Dave sont trois amis d’enfance. Un jour, Dave est enlevé par deux pédophiles sous les yeux de ses deux amis impuissants. Les ravisseurs abusent de Dave pendant quatre jours, jusqu’à que ce dernier réussisse à leur échapper.

Une vingtaine d’années plus tard, alors que les trois amis ont suivi des voies différentes, leurs chemins vont à nouveau se croiser lors d’un autre événement tragique : le meurtre de Katie, la fille de Jimmy.

Mystic River entame un formidable cycle créatif pour Clint Eastwood, qui allait nous livrer dans la foulée trois authentiques chefs-d’œuvre, ainsi que le très beau, bien qu’un ton en dessous, L’Echange. Créance de Sang, son film précédent, avait reçu un accueil critique mitigé, alors qu’il s’agissait au fond d’un joli « adieu » d’Eastwood en tant que héros de polar hard boiled. Le cinéaste enchaînait donc ensuite avec cette adaptation de Dennis Lehanne. Film d’ombre et de lumière s’il en est, Mystic River est le fruit d’un passionnant cheminement dans la carrière d’Eastwood, acteur comme réalisateur.

Le bien et le mal

Intronisé quasiment dès ses débuts en icône équivalente à John Wayne, par la grâce de la trilogie des dollars, Eastwood, à de rares exceptions près (l’excellent Les proies de Don Siegel), incarne une certaine idée de la droiture dans la première partie de sa carrière. Certes, les rôles et les personnages incarnés sont loin d’être des figures lisses, mais on dénote toujours une séparation bien réelle entre le bien et le mal. Les méthodes extrêmes de Harry Callahan étaient justifiées par l’inertie des dirigeants face au criminels, le sadisme de l’étranger de L’homme des hautes plaines répondait à la lâcheté des habitants de la ville, la violence d’un Josey Wales venait d’un désir de vengeance compréhensible dû à la perte sanglante des siens.
Hormis quelques exceptions (comme la révélation finale de La Sanction), les problèmes et les solutions restent simples, même dans les films plus légers comme Un Shérif à New York ou les purs actioners comme L’Epreuve de Force.

 

Les premiers questionnements apparaissent avec l’excellent quatrième volet de la saga Dirty Harry, Le Retour de L’Inspecteur Harry. Tout en y conservant son aspect de cow-boy urbain (son apparition lors de la scène finale, dans l’ombre, le magnum à la main, est des plus marquantes), Harry s’y retrouve confronté à des choix plus complexes. Une serial killeuse tue impitoyablement ceux qui les ont violées, elle et sa sœur, quelques années auparavant. Harry, tombé amoureux d’elle entre temps et l’ayant sauvée de ses agresseurs désirant en finir, la laisse au final en liberté, désormais libérée de ses démons. Chose assez impensable en regard de l’image de rigueur implacable affichée par le personnage dans le premier volet.

Les autres tentatives d’amener le genre vers plus d’ambiguïté, dans les années suivantes, seront moins concluantes, entre La Corde raide (où un Eastwood flic, amateur de prostituées, perd ses repères face à un tueur s’attaquant à ses partenaires d’un soir), et Pale Rider, sorte de remake lissé du pur diamant noir qu’était L’homme des Hautes Plaines.
Impitoyable, avec sa violence réaliste, jamais glorifiée, son tueur en proie au doute et au remord, constitue sans aucun doute le film somme qui permettra à Eastwood de se libérer des derniers carcans qui le retenaient, et d’aborder une phase décisive de sa carrière de réalisateur, primant désormais sur celle d’acteur. S’il avait certes déjà abordé des terrains plus sombres dans les films où il ne jouait pas, tels Bird, le drame policier constituant Mystic River témoigne de fort belle manière de l’évolution d’Eastwood en tant qu’homme, et donc forcément de sa manière différente d’aborder le genre.

 

  

Ombre et lumière

Le livre de Dennis Lehanne permet à Eastwood de revisiter nombre de thèmes de ses films passés, plus particulièrement ceux ancrés dans le genre, à l’aune de la veine plus humaniste dont il témoigne dans la dernière partie de sa carrière, et apportant nombres de parallèles intéressants.
La vengeance, thème Eastwoodien par excellence (acteur comme réalisateur), se voit sérieusement remise en cause ici. A l’époque des Josey Wales, Hommes des hautes Plaines et autres Pendez les haut et court, le doute n’était jamais permis face à la nature de l’agresseur à châtier. Il en va cette fois autrement, bien que Eastwood maintienne le trouble en conférant autant d’intensité à la douloureuse perte de la fille de Sean Penn qu’à celle de la famille de Josey Wales, lors d’une séquence mémorable. Le personnage de Sean Penn, par sa détermination, ses certitudes et quête de la justice à tout prix, n’est pas si différent de certains héros incarnés auparavant par Eastwood, mais se trouve désormais confronté à un monde bien réel, où tout n’est pas tout blanc ou noir, où le coupable tout désigné n’est pas forcément le bon.

Tim Robbins est un personnage clé en ce sens, son agitation et son comportement perturbé en faisant presque une version domestique d’un Scorpio (le mémorable méchant de Dirty Harry) aux yeux des autres ; la véritable nature de ses actes (il aurait tué un véritable pédophile) revisite de manière plus subtile les thèmes du Retour de l’Inspecteur Harry si l’on considère qu’il prend le relais de Sandra Locke, en punissant l’auteur d’un type d’agression qu’il a eue lui-même à subir enfant. Pas de Harry pour vous laisser partir en paix cette fois, et Dave paiera de la plus violente des manières ses souffrances passées. Eastwood aurait désormais plus tendance à s’identifier à Kevin Bacon, seule figure de droiture dans cet océan de noirceur, mais, le temps des cow-boys rédempteurs et imperturbables étant révolu, ce dernier s’avérera impuissant face au drame en marche, lui-même en proie à ses propres fêlures dans sa vie conjugale.

Passionnant au regard de la carrière d’Eastwood, le film n’en demeure pas moins un drame puissant, se suffisant à lui-même. Une sobriété au service de l’histoire dans la réalisation, visuellement superbe (la photo de Tom Stern est de toute beauté) ; porté par une distribution parmi les plus mémorables vues cette décennie. Un grand Eastwood et un grand film, dont la privation de la Palme d’or à Cannes, en 2003, demeure encore un mystère.

 

Titre original : Mystic River

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Durée : 135 mn


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